Français, Homélies

Troisième dimanche du Carême

Arrivé au milieu du Grand Carême, le Triode nous propose de vénérer la Croix en vue de la commémoration annuelle de la Passion salutaire et de la Résurrection du Christ pour lesquelles nous nous préparons spirituellement. Ainsi, au milieu du Carême se dresse la Croix du Christ, devant laquelle nous nous prosternons, comme jadis, au milieu du Paradis, se dressait l’arbre de vie. Par anticipation de la fête de Pâques, le Triode célèbre déjà la victoire sur la mort et nous invite à entrer de nouveau au Paradis : « Désormais le glaive de feu ne garde plus la porte de l’Éden, car le bois de la Croix l’empêche de flamboyer. L’aiguillon de la mort est émoussé. La victoire échappe à l’Hadès. Dieu Sauveur, tu es venu dire aux captifs de l’Enfer : Entrez à nouveau dans le Paradis » (kondakion).

Toutefois, il faut savoir que la solennité de ce dimanche fut introduite relativement tardivement à Constantinople, en replacement d’une autre commémoration plus ancienne, héritée de la répartition des lectures de l’Évangile que l’on faisait à Jérusalem. En effet, l’usage plus ancien était de lire ce dimanche la parabole du Publicain et du Pharisien. Le Triode en garde des traces, puisqu’il nous exhorte de la façon suivante à la fin des matines : « En paraboles, le Seigneur de l’univers nous enseigne comment il faut se préserver de l’arrogance des Pharisiens. Il nous met en garde contre l’orgueil et nous donne l’exemple en s’abaissant jusqu’à la mort, et la mort sur la croix. Dans l’action de grâce, avec le Publicain, disons-lui : Toi qui as souffert pour nous, demeurant impassible comme Dieu, délivre-nous de nos passions et sauve nos âmes » (matines, doxastikon des laudes). D’autres hymnes du Triode, durant la quatrième semaine du Carême qui commence, feront aussi référence à la parabole du Publicain et du Pharisien.

La thématique de la mort sur la Croix et de la résurrection du Christ était tout à fait appropriée pour une catéchèse baptismale

On estime généralement que c’est au milieu du 8e siècle que fut restructurée la pratique liturgique de l’Église de Constantinople, ce qui comprenait l’introduction d’une nouvelle répartition des lectures bibliques. Le choix du dimanche de la mi-carême comme dimanche de la vénération de la Croix s’explique aussi par le fait qu’à cette époque, on inscrivait lors de ce dimanche les catéchumènes qui allaient être baptisés pendant la vigile pascale. La période de leur catéchuménat, qui jadis durait toute la période du Carême, fut donc réduite à quatre semaines. Un tel changement s’explique du fait que le baptême des adultes se faisait de plus en plus rare et qu’on baptisait à cette époque des enfants qui approchaient de l’âge de raison. Ceux-ci étaient assez jeunes pour être amenés à l’église par leurs parents et assez grands pour comprendre la catéchèse qui leur était dispensée. L’usage liturgique de l’Église orthodoxe en a conservé des traces jusqu’à nos jours, puisqu’on a toujours l’habitude de prier pour « ceux qui se préparent à la sainte illumination » lors de la liturgie des Présanctifiés à partir de ce dimanche.

La thématique de la mort sur la Croix et de la résurrection du Christ, développée dans l’hymnographie de ce dimanche, était tout à fait appropriée pour une catéchèse baptismale, puisque selon le saint apôtre Paul, « nous avons été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions, nous aussi, dans une vie nouvelle » (Rm 6, 4). Le Triode chante en effet notre résurrection commune : « Christ notre Dieu qui as daigné souffrir la crucifixion pour la commune résurrection du genre humain. Sur la croix tu as signé de la pourpre de ton sang la charte royale de notre libération. Ne nous méprise pas dans le péril que nous courons d’être à nouveau séparés de toi. De ton peuple en détresse prends pitié, dans ton unique bonté, lève-toi et combats nos adversaires, Seigneur tout-puissant » (vêpres, lucernaire).

L’hymnographie, par la poésie et le chant, nous introduit par anticipation dans l’esprit et la joie de Pâques

Le lien entre la solennité de ce dimanche et la fête de Pâques pour laquelle nous nous préparons et lors de laquelle l’Église ancienne célébrait le baptême, est souligné encore davantage par le canon hymnographique de ce dimanche, attribué à saint Théodore Stoudite. Ce canon reprend du canon de Pâques les hirmi, c’est-à-dire la première strophe de chaque ode qui servent de modèle rythmique et mélodique pour les autres. Ainsi, le canon de ce dimanche est modelé sur celui du dimanche pascal, ce qui lui permet, par la poésie et le chant, de nous introduire par anticipation dans l’esprit et la joie de Pâques : « Jour de fête dans les cieux, car la mort est effacée par la Résurrection du Christ. De nouveau surgit la vie, et Adam ressuscité exulte de joie : chantons tous la victoire du Seigneur ! Jour où nous nous prosternons devant la vivifiante Croix, venez tous, devant elle prosternons-nous. Resplendissante de l’éclat de la sainte Résurrection, elle s’offre à nos yeux : embrassons-la dans l’allégresse de l’Esprit » (ode 1).

L’opposition entre les deux arbres, celui planté en Éden et celui planté sur le Golgotha, vient souligner la typologie entre Adam et le Christ

A la suite des Pères de l’Église, l’hymnographie souligne le lien typologique qui oppose l’arbre de vie planté au milieu de l’Éden (Gn 2, 8-9) et l’arbre de la Croix : « Salut, vivifiante Croix du Seigneur, paradis de l’Église et nouvel arbre de vie, qui nous procures la jouissance d’une gloire sans fin… » (vêpres, lucernaire). Alors que du premier, Adam et Ève goutèrent à l’amertume du péché et de la chute, du second, l’humanité tout entière jouit de la rédemption et de l’immortalité : « Exulte, premier couple créé, que l’ennemi jaloux fit choir de l’allégresse d’en-haut jadis par l’amer plaisir goûté sous l’arbre défendu. Voici que s’avance le nouvel arbre de vie. Accourez pour l’embrasser dans la joie et vers lui faites monter ce cri de votre foi : Précieuse Croix, tu es notre secours et protection, ton fruit nous procure l’immortalité, l’assurance du Paradis et la grâce du salut » (vêpres, lucernaire).

De manière quasi théâtrale, l’hymnographe personnifie l’Hadès, lieu de séjour des morts, et lui donne la parole : « Pilate érigea trois croix sur le Golgotha : deux pour les larrons et une pour le Prince de la vie. Ce que voyant, l’Hadès demande à ses serviteurs : Qui m’a planté cet épieu dans le cœur ? Une lance de bois m’a transpercé, et me voilà déchiré. Quelle douleur pénètre mes entrailles et mon sein, quelle peine traverse mon esprit ! Je suis contraint de rejeter Adam et ses fils, ceux que j’avais reçus de l’arbre défendu, car un nouvel arbre les conduit pour entrer à nouveau dans le Paradis » (ikos). Le Christ, suspendu à la Croix, est donc présenté par le Triode comme l’antidote au fruit suspendu à l’arbre de vie : « D’allégresse, en ce jour, les Anges exultent dans le ciel pour la vénération de la Croix. En elle, ô Christ, tu as vaincu les phalanges des démons et tu as sauvé le genre humain. Comme un autre Paradis, l’Église possède maintenant, Seigneur, un arbre de vie. C’est ta vivifiante Croix. En goûtant de son fruit nous avons part à l’immortalité » (canon, ode 5).

Cette opposition entre les deux arbres, celui planté en Éden et celui planté sur le Golgotha, vient souligner la typologie entre Adam et le Christ en développant la thématique du vêtement. Adam et Ève ayant goûté au fruit défendu découvrirent qu’ils étaient nus (Gn 3, 7). Le Christ, nouvel Adam, est suspendu, tel un nouveau fruit, sur l’arbre de la Croix, après avoir été dépouillé de ses vêtements (Jn 19, 23-24) : « Te voyant suspendu sans vêtement sur la croix, toi le Créateur de l’univers, l’entière création fut secouée de frayeur. Le soleil suspendit ses rayons. Les rochers se fendirent. La terre chancela et le voile du Temple fut déchiré en deux. Les morts ressuscitèrent de leurs tombeaux et les Puissances d’en-haut, stupéfaites, disaient : Merveille, voici que le Juge passe en jugement et souffre librement sa Passion pour le salut du monde et sa restauration ! » (vêpres, litie). Le Triode nous présente le Christ non seulement comme le nouveau fruit qui nous apporte l’antidote à celui de l’arbre du Paradis, mais aussi, comme celui qui nous procure le vêtement de vie : « Jadis au Paradis l’ennemi me dépouilla, me faisant goûter au fruit de l’arbre. Il introduisit la mort. Mais sur terre fut planté l’arbre de la Croix. Il apporte aux hommes le vêtement de vie, et le monde entier déborde de joie. Voyant la Croix exaltée, crions tous au Seigneur d’une même voix : Ton temple est rempli de ta gloire ! » (matines, cathisme). En effet, le Christ devient notre vêtement dans le baptême, puisque, selon le saint Apôtre Paul, « vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ » (Gal 3, 27).

Ainsi, en ce dimanche de la Mi-Carême, la mystagogie du Triode nous encourage à poursuivre notre pérégrination vers le Royaume de Dieu, par la prière et le jeûne, mais surtout la participation aux sacrements de l’Église qui nous procurent le Christ comme vêtement dans le baptême et comme nourriture dans l’eucharistie, afin que nous entrions de nouveau au Paradis.

Archevêque Job de Telmessos

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