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Cinquième dimanche du Carême

Le cinquième dimanche du Carême, le Triode commémore une figure représentant l’universalité du salut et de la vie spirituelle : sainte Marie l’Égyptienne, une ex-prostituée devenue ascète au désert. Commémorée le 1er avril, sa mémoire fut déplacée à ce dimanche pour être davantage solennisée, sans doute en lien avec l’office du grand canon pénitentiel de saint André de Crète chanté le jeudi précédent. La vie de sainte Marie l’Égyptienne incarne un repentir véritable qui nous est ainsi proposé par le Triode comme modèle.

Sa vie, rédigée par saint Sophrone de Jérusalem et lue pendant l’office du grand canon, raconte que Marie, originaire d’Égypte, avait quitté ses parents pour vivre dans la débauche à Alexandrie. Un jour, voyant des pèlerins embarquer pour Jérusalem, elle se joignit au groupe et les suivit jusqu’à la basilique du Saint-Sépulcre. Mais là, une force mystérieuse l’empêchait d’y entrer. Voyant une icône de la Mère de Dieu, elle la supplia en larmes : « Puisque le Dieu né de toi est devenu homme pour appeler les pécheurs au repentir, viens à mon aide : permets-moi l’entrée de l’église pour me prosterner devant Sa Croix. Et dès que j’aurai vu la Croix, je te promets de renoncer au monde et aux plaisirs et de suivre le chemin de salut que tu me montreras ». Elle fut alors délivrée de cette puissance qui la retenait et put vénérer la Sainte Croix. C’est ce que l’hymnographie reprend par le chant : « L’impureté où t’entraînaient jadis les souillures t’empêchait de voir ce qui est saint. Mais le sens et la conscience de ce que tu avais fait, ô sage de Dieu, te ramenèrent vers le meilleur. Car tu as vu l’image de la Servante bénie de Dieu : elle t’a purifiée de toutes tes fautes d’autrefois quand, toute pieuse, en confiance, tu as vénéré le bois précieux de la Croix » (vêpres, lucernaire).

Le Triode nous encourage à ne pas négliger notre salut en nous montrant que le repentir peut nous ramener à Dieu

L’hagiographe raconte qu’après avoir vénéré la Croix, une voix lui indiqua d’en haut qu’elle trouverait le repos en passant le Jourdain. C’est donc là qu’elle se dirigea. Après s’être lavée dans les eaux du Jourdain et avoir communié à l’église de saint Jean Baptiste, elle traversa le fleuve et vécut pendant quarante-sept ans dans le désert sans y rencontrer personne. L’hymnographe résume ainsi cet épisode de sa vie : « Tu as visité en joie les lieux saints, tu as reçu le viatique salutaire de la vertu, et tu as pris soudain le chemin de la beauté, tu as passé les eaux du Jourdain, tu es allée vivre dans la demeure du Baptiste. Par ta vie tu as détruit la sauvagerie des passions, tu as librement affiné les enflures de la chair, ô Mère d’éternelle mémoire » (vêpres, lucernaire).

Le Triode nous encourage ainsi, à la fin du Carême, à ne pas négliger notre salut, en nous montrant que même à la dernière heure, le repentir peut nous ramener à Dieu. Car Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais son salut (cf. Ez 18, 32), et c’est pourquoi le Fils de Dieu s’est incarné pour appeler non les justes, mais les pécheurs au repentir (cf. Mt 9, 13). L’hymnographe utilise donc la figure de sainte Marie l’Égyptienne pour nous montrer que combien même l’homme, par ses péchés, va à la perdition, le Christ nous ouvre la voie du repentir : « Par tes fautes tu avais approché les portes de la perdition. Mais Celui qui brisa les portes de l’enfer par la force de la Divinité, t’ouvre les portes du repentir. Il est la porte de la vie » (canon de la sainte, ode 3). En ce sens, le Christ est vraiment pour nous « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6).

Sainte Marie s’est convertie en vénérant la Sainte Croix, véritable autel de l’unique sacrifice du Christ qui s’est offert lui-même une fois pour toutes pour le salut de tous (cf. Hb 10, 12), et signe de victoire sur le péché et la mort. Ainsi, « la puissance de Ta Croix, ô Christ, a fait des merveilles, car l’ancienne prostituée a mené le combat de l’ascèse. Elle a rejeté la faiblesse. Elle a noblement résisté au diable. Elle a reçu le prix de la victoire et elle intercède pour nos âmes » (vêpres, lucernaire). Sainte Marie l’Égyptienne est pour nous un modèle de conversion et de repentir. Elle nous enseigne par sa vie même la tempérance en repoussant les passions et les pensées qui nous détourne de Dieu, ce qui fait dire à l’hymnographe : « Les convoitises de l’âme, les passions de la chair, tu les as coupées sous le glaive de la tempérance. Sous le silence de l’ascèse tu as étouffé le reproche des pensées. Sous les eaux de tes larmes tu as arrosé tout le désert. Et tu nous as donné le fruit du repentir, ô sainte, nous fêtons ta mémoire » (vêpres, apostiches).

Commentant la parabole du riche et du pauvre Lazare le Triode nous compare à la fois au riche et au pauvre

L’hymnographie en mémoire de sainte Marie l’Égyptienne est venue s’ajouter à une hymnographie plus ancienne du Triode, commentant la parabole du riche et du pauvre Lazare (Lc 16, 19-31) qui autrefois était lue ce dimanche d’après l’ancien lectionnaire de Jérusalem. Le Triode en a conservé des traces. Un canon, prévu aux matines de ce dimanche, en fait une lecture morale. Selon l’hymnographe, « le Riche se condamna lui-même à la flamme du feu par sa vie dans les plaisirs. Mais l’humble Lazare qui avait choisi la pauvreté dans cette vie fut digne de la joie qui n’a pas de fin » (canon du Triode, ode 6). Dans la lecture typologique qu’il fait de cette parabole, le Triode nous compare à la fois au riche et au pauvre. Hélas, notre richesse consiste en des passions, et notre pauvreté est celle des vertus : « Seigneur, je suis riche de passions et de plaisirs. Et je le suis pauvre comme Lazare par le manque de vertus. Mais toi, sauve moi » (canon du Triode, ode 3).

C’est pourquoi, nous retrouvant dans la situation du riche, nous implorons le salut du Christ : « Par le mensonge de l’existence j’étais devenu comme le Riche qui dépensa toute sa vie dans les plaisirs. Mais Dieu qui aimes l’homme, je Te prie, en ta compassion, délivre-moi du feu, comme Lazare fut sauvé » (canon du Triode, ode 5). L’hymnographie du Triode pendant toute la semaine qui suit ce dimanche développera ce thème. S’y ajoutera une hymnographie en l’honneur de Lazare, l’ami du Christ, le frère de Marthe et de Marie, dont le Triode commémorera la résurrection le samedi suivant. Les deux Lazare de l’Évangile, à savoir le pauvre gisant aux portes de la maison du riche et l’ami du Christ gisant quatre jours au tombeau, sont ainsi mis en relation par le Triode qui les interprète comme une figure de l’humanité gisant aux portes du Royaume de Dieu et que la Passion et la Résurrection du Christ viennent relever du péché et de la mort : « Repu et impitoyable dans mon incroyance, j’ai négligé mon esprit et l’ai cruellement rejeté, face à tes commandements, devant les portes du Royaume. Mais dans ta miséricorde relève moi comme Tu as aimé de ta compassion Lazare enseveli quatre jours » (canon du Triode, ode 9).

Le Royaume de Dieu n’est pas le manger et le boire, mais la justice, l’ascèse, la sanctification

Le Triode tire la conclusion suivante de la parabole du riche et de Lazare, qui est fondamentale pour l’ascèse du jeûne que nous observons en cette période de l’année : « Le Royaume de Dieu n’est pas le manger et le boire, mais la justice, l’ascèse, la sanctification. Ce ne sont pas les riches qui entrent en lui, mais ceux qui remettent leurs trésors dans les mains des pauvres. Le Prophète David l’enseigne, quand il dit : l’homme juste est celui qui aime tout le jour, qui se réjouit dans le Seigneur et marche dans la lumière. Celui-là ne tombera jamais. Tout ceci est écrit pour notre instruction afin que nous jeûnions et soyons bons, et que le Seigneur nous donne ce qui vient des cieux au lieu de ce qui est sur la terre » (matines, laudes). Une fois de plus, le Triode nous rappelle que l’économie résultant de la pratique du jeûne devrait financer l’aumône faite aux pauvres. Par ailleurs, l’hymnographe s’inspire ici de l’enseignement de saint Basile le Grand qui nous exhorte ainsi : « ce n’est pas seulement contre les plaisirs de la bouche qu’est dirigée la pratique de la tempérance, car elle comprend aussi le renoncement à tout ce qui pourrait entraver la pratique de la vertu. Le parfait tempérant ne commande donc pas à son ventre pour être ensuite vaincu par la gloire humaine ; il ne maîtrise pas ses mauvais instincts, sans dominer aussi l’appétit de la richesse et n’importe quelle autre inclination méprisable à la colère, à la jalousie ou d’autres sentiments » (Grandes règles, 16). Ce rappel est fort utile à ce stade du pèlerinage vers le Royaume de Dieu qu’est le Carême. A ce titre, sainte Marie l’Égyptienne apparaît comme un modèle qui nous est donné comme un excellent exemple à suivre.

Archevêque Job de Telmessos

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