Français, Homélies

Troisième dimanche de Pâques

L’office du troisième dimanche de Pâques dans le Pentecostaire reprend un certain nombre d’éléments. Tout d’abord, on y retrouve l’hymnographie de Pâques que l’on continue de chanter pendant une quarantaine de jours, jusqu’à la veille de l’Ascension que l’on désigne comme « la clôture de Pâques ». Dans l’Église ancienne, toute la cinquantaine pascale, qui débutait le dimanche de Pâques et se concluait le dimanche de la Pentecôte, était une période festive, comme un seul jour de fête, où était proscrit jeûne et génuflexion. C’est d’ailleurs pourquoi le livre liturgique accompagnant cette période porte le nom de Pentecostaire. Avec le développement des fêtes liturgiques, la période purement « pascale » fut réduite aux quarante premiers jours, les jours suivants reprenant l’hymnographie de l’Ascension.

Par ailleurs, l’hymnographie de ce dimanche reprend un certain nombre d’hymnes du vendredi saint. On y évoque Joseph et Nicodème qui ensevelissent le corps mort du Sauveur. C’est en grande partie la thématique du canon des matines propre à ce dimanche. En ce sens, nous pouvons dire que le Pentecostaire est la suite, ou si l’on veut, le deuxième volume du Triode du Carême. Il n’est donc pas surprenant que chez les Slaves soient utilisés les noms de « Triode de Carême » et « Triode fleuri » pour désigner ces deux volumes, dont le second commençait souvent avec le dimanche des Rameaux.

Pour comprendre ce qui s’est passé, pour s’émerveiller devant le tombeau vide, il faut être conscient de ce qu’il contenait

Il y a une certaine logique que l’hymnographie de ce dimanche reprenne celle du vendredi saint puisqu’elle se focalise sur le miracle survenu. Pour comprendre ce qui s’est passé, pour s’émerveiller devant le tombeau vide, il faut être conscient de ce qu’il contenait. L’évangile lu à la Divine Liturgie de ce dimanche retrace d’ailleurs de la même façon l’ensevelissement et les retrouvailles du tombeau vide (Mc 15,43—16,8). D’ailleurs, c’est en venant compléter ce qu’elles n’avaient pas pu accomplir le vendredi que les femmes myrophores, à qui ce dimanche est dédié, furent les premiers témoins de la bonne nouvelle de la résurrection du Christ.

L’évangile nous dit en effet que lors de l’ensevelissement, après que le corps du Sauveur ait été enveloppé dans un linceul et déposé dans une tombe, une pierre fut roulée à l’entrée du tombeau en présence de Marie de Magdala et de Marie, mère de Joset (Mc 15,46-47). On s’était empressé de mettre la dépouille au tombeau sans faire les rituels funéraires à cause du samedi. L’évangéliste Luc en témoigne en disant : « et le sabbat, elles se tinrent en repos, selon le précepte » (Lc 23, 56) de la Loi mosaïque. C’est donc pour accomplir ces rituels qu’elles revinrent au tombeau le dimanche matin, avec un seul souci : qui allait rouler la pierre hors de la porte du tombeau qui était fort grande ? (Mc 16,3-4).

En arrivant sur le lieu, elles deviennent les témoins du changement survenu. L’hymnographe s’exclame ainsi : « Les Myrophores, de bon matin, prenant des aromates, vinrent au sépulcre du Seigneur et, trouvant ce qu’elles n’attendaient point, s’inquiétèrent du changement survenu » (lucernaire). Dans sa bouche, le souci de qui allait déroulé la pierre fait place à un autre : « Et devant la pierre roulée, l’une à l’autre se disaient : Où sont les scellés du tombeau, où est la garde que Pilate a envoyée avec tant de précaution ? » L’hymnographe se réfère ici au récit de l’évangéliste Matthieu, selon qui le samedi, Pilate avait fait sceller le tombeau et posté une garde à la demande des grands prêtres et des Pharisiens pour que personne ne vole le corps du Christ pour ensuite dire qu’il était ressuscité (Mt 27, 62-66). L’hymnographe laisse ainsi entendre que les myrophores auraient eu peur qu’on les accuse d’avoir volé le corps du Christ, mais, poursuit-il, « leur incertitude fut dissipée quand elles virent l’Ange resplendissant qui leur demanda : Pourquoi cherchez vous avec des larmes celui qui vit et vivifie le genre humain ? Il est ressuscité d’entre les morts, le Christ, notre Dieu tout-puissant, qui nous accorde à tous la vie immortelle, l’illumination et la grâce du salut » (lucernaire). L’hymnographe se réfère ici à l’évangile de Matthieu, où c’est l’Ange du Seigneur, resplendissant comme l’éclair et revêtu d’une robe blanche comme neige, qui était descendu du ciel pour dérouler la pierre et qui annonça la résurrection à Marie de Magdala et l’autre Marie (Mt 28,1-8). L’évangéliste Marc mentionne quant à lui « un jeune homme, assis à droite (du tombeau) et revêtu d’une robe blanche » (Mc 16,5) alors que Luc parle de « deux hommes, en habit éblouissant » (Lc 24,4).

La découverte du tombeau vide est un événement paradoxal.

L’évangéliste Marc souligne l’émotion des myrophores : « elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur… » (Mc 16,8). La découverte du tombeau vide est un événement paradoxal. Au lieu de la joie d’apprendre la nouvelle de la résurrection du Christ, les myrophores avaient des sentiments mêlés : la tristesse de venir ensevelir un défunt, mêlée au souci de devoir dérouler la pierre du tombeau, avec peut-être la peur de devoir affronter la garde, a laissé place à la peur de la découverte d’un tombeau vide, qu’elles avaient sans doute suspecté d’avoir été volé, mêlée à l’effroi d’une vision hors du commun d’un Ange resplendissant… L’hymnographe décrit cet événement ainsi : « Les femmes porteuses de parfums, arrivées devant le tombeau et du sépulcre voyant les scellés, mais ne trouvant pas ton corps immaculé, après l’empressement de leur venue, maintenant gémissaient en disant : Qui nous a dérobé notre espoir, qui a pris un cadavre nu et embaumé qui pour une Mère était la seule consolation ? Hélas, comment fut mis à mort celui qui vivifie le genre humain, comment fut mis en tombe le vainqueur de l’Enfer ? » (lucernaire, doxastikon).

A cette situation paradoxale, l’hymnographe répond en soulignant les antinomies du mystère de la résurrection du Christ : « Pourquoi mêler vos pleurs à la myrrhe que vous portez ? La pierre est roulée, la tombe vidée. Voyez comment la vie a triomphé de la mort, le témoignage éclatant que rendent les scellés. Voyez quel sommeil appesantit la garde des impies. Ce qui jadis était soumis à la mort est sauvé par la chair de notre Dieu, l’Enfer exhale sa douleur. Courez donc avec joie vers les Apôtres et dites-leur : Le Christ vainqueur de la mort et premier-né d’entre les morts vous précède en Galilée » (lucernaire). La vie a triomphé de la mort. Les mortels sont sauvés par le Dieu incarné. L’Enfer est vaincu. Tel est le sens profondément existentiel de la mort, de l’ensevelissement et de la résurrection du Christ, fondement de notre foi.

Toutefois, d’après le récit de l’évangéliste Matthieu, les femmes ont parlé. A juste titre, la peur des myrophores s’est subitement transformée en joie. « Quittant vite le tombeau, tout émues et pleines de joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples » (Mt 28,8). Car d’après Matthieu, le Christ ressuscité leur serait même apparu en leur disant : « Ne craignez point ; allez annoncer à mes frères qu’ils doivent partir pour la Galilée, et là ils mes verront » (Mt 28,10). Et c’est ce que l’hymnographe a retenu : « Les Myrophores, parties de bon matin et joignant ton sépulcre avec empressement, te cherchaient, ô Christ, pour embaumer ton corps immaculé. Mais, après les paroles que l’Ange leur adressa, elles coururent vers les Apôtres en messagères de joie, disant : Il est ressuscité, le Principe de notre salut ; vainqueur de la mort, au monde il a porté grande miséricorde et vie immortelle » (lucernaire). Ainsi, les myrophores, premiers témoins de la résurrection du Christ, ont été des apôtres (des envoyés) aux Apôtres, et c’est la raison pour laquelle l’Église les honore et les célèbre en ce dimanche.

Une joie qui n’est pas seulement leur joie, mais celle de l’humanité tout entière, puisqu’elle fait cesser les pleurs d’Adam et d’Ève chassés du Paradis

L’euphorie et la joie de la fête de Pâques n’est pas mondaine, car elle ne se fonde pas sur la célébration d’une fête humaine ou d’un mythe. Elle est spirituelle, car elle est fondée sur un miracle, sur un mystère : celui de la résurrection du Christ qui est le fondement de notre foi, sans quoi notre prédication serait vaine. En effet, comme le dit l’Apôtre Paul, « si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre foi » (1 Co 15,14). Mais pour s’approprier cette joie, il faut passer par des expériences humaines comme celle du doute de Thomas, dont il a été question dimanche dernier, qui le conduit de l’incrédulité à la foi, ou par celle de la peur des myrophores qui les conduit à la joie. Une joie qui n’est pas seulement leur joie, mais celle de l’humanité tout entière, puisqu’elle fait cesser les pleurs d’Adam et d’Ève chassés du Paradis, car la Résurrection nous ouvre les portes du Paradis et nous y fait entrer. « Ordonnant aux Myrophores de se réjouir, tu as fait cesser les pleurs d’Eve, la première aïeule, par ta Résurrection, ô Christ notre Dieu ; aux Apôtres tu donnas l’ordre de proclamer : Le Sauveur est sorti du tombeau ! » (kondakion).

Archevêque Job de Telmessos

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