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Dimanche du jugement dernier

Nous voici à une semaine du début du Grand Carême. Peut-être que parmi nous certains se demandent comment passer cette période préparatoire à Pâques d’une manière plus profitable pour notre vie spirituelle. D’autres réfléchissent peut-être à la manière dont ils vont jeûner, à la façon dont ils vont prier et participer aux offices liturgiques, comment ils vont lire et méditer l’Écriture Sainte. Mais peut-être, hélas, que certains voient mal cette période, la considèrent avec dégoût, ou l’ignorent même totalement… Néanmoins, le Carême arrive. L’Église nous invite à la conversion, à la prière, au jeûne.

Toujours dans le but de mieux nous y préparer, l’Église nous invite ce dimanche à méditer la parabole du jugement dernier (Mt 25, 31-46), où à notre grande surprise, le Christ nous annonce que le critère selon lequel nous serons jugés à la fin des temps, ne sera pas celui de nos œuvres religieuses — non pas sur notre manière de jeûner, de prier, de nous prosterner —, mais de nos œuvres de miséricorde: pour avoir ou non nourri l’affamé, abreuvé l’assoiffé, accueilli l’étranger, vêtu le nu, visité le malade et le prisonnier (Mt 25, 35 et 42).

Le contexte de cette parabole est pastoral. Notre Seigneur Jésus-Christ y apparait entre autres comme le Bon Pasteur. Certes, Celui qui vient chercher la brebis perdue (Lc 15, 7), mais aussi celui qui sépare les boucs des brebis (Mt 25, 32), faisant allusion à la prophétie d’Ezéchiel (Ez 34, 17-22), et nous rappelant aussi l’image de la séparation du blé et de l’ivraie dans une autre parabole sur le Royaume de Dieu (Mt 13, 28-30). A ce Royaume de Dieu, nous sommes tous appelés, tous invités. Dieu dans sa grande miséricorde s’incarne même pour venir nous chercher, nous y convier et nous y mener comme un berger. Il attend notre conversion, à l’exemple du Fils Prodigue. Mais il n’empêche que nous devons coopérer avec Dieu afin d’être rendus dignes d’entrer dans le Royaume, à l’exemple des vierges sages qui ont su garder leur lampe allumée, et non à celui des vierges folles.

La vie chrétienne est une vie de partage et de solidarité

Le message de la lecture évangélique de ce dimanche insiste sur le fait que la véritable vie chrétienne n’est pas une vie égoïste, repliée sur soi, où l’on ne vit que pour soi, que pour accumuler des biens ou des richesses, quelles soient matérielles ou spirituelles, à la manière du riche insensé. Elle n’est pas non plus une vie renfermée sur nous-mêmes, centrée sur notre orgueil et notre hypocrisie, comme l’était celle du Pharisien dont il a été question, voilà deux semaines. La vie chrétienne est bien au contraire une vie ouverte constamment vers l’autre. Elle est une vie de partage et de solidarité.

Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait

La clé pour comprendre le message de l’évangile d’aujoud’hui se trouve dans ces paroles du Christ: «Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40). Par ces paroles, notre Seigneur s’identifie à l’affamé, à l’assoiffé, à l’étranger, au nu, au malade et au prisonnier de notre quotidien. Et cela n’est pas surprenant, puisque chaque homme est l’icône du Christ, chaque homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Comment pouvons nous prétendre aimer Dieu que nous ne voyons pas alors que nous haïssons notre frère que nous voyons? C’est pourquoi saint Jean le Théologien affirme: «Si quelqu’un dit: J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas?» (1 Jn 4, 20). D’où la question que nous devons nous poser aujourd’hui, et non seulement aujourd’hui, mais chaque jour de notre vie: reconnaissons-nous notre Seigneur Jésus-Christ sous les traits du mendiant que nous rencontrons dans le métro, ou du sans abris que nous croisons dans la rue, ou du vieillard dans la maison de retraite, ou du prisonnier, ou encore du migrant qui campe à notre frontière?

La lecture de l’évangile de ce dimanche nous invite à une autre liturgie: à la liturgie après la liturgie. Celle-ci n’est pas célébrée seulement dans des églises, sur des autels. Elle est célébrée quotidiennement dans la rue, dans le métro, dans les maisons de retraite, dans les prisons, sur les places publiques… Elle sert le notre Seigneur Jésus-Christ sous les traits de l’affamé, de l’assoiffé, de l’étranger, du nu, du malade, du prisonnier, du migrant, du sans abris, du vieillard de notre quotidien…

Or la question que nous pose le Christ aujourd’hui: le reconnaissons-nous sous ces traits, chaque fois que nous croisons une telle personne sur notre passage? Si nous arrivons à voir le Christ derrière le visage de chaque homme que nous rencontrons, et particulièrement sous les traits des plus petits, des plus vulnérables, des plus répugnants, alors notre attitude envers notre prochain changera radicalement et notre mode de vie sera ainsi transformé. C’est justement sur ce critère que notre Seigneur va opérer cette séparation entre les justes et les maudits, Lui qui apparait aussi dans la parabole de ce dimanche comme le Juge souverain venu juger la création pour inaugurer son Royaume.

Un jugement redoutable

Le jugement rendu dans cette parabole est un jugement redoutable. Redoutable, car il est irrévocable. En effet, si à maintes occasions le Seigneur nous invite et nous incite au repentir, à l’heure du jugement, les maudits iront à la peine éternelles alors que les justes iront à la vie éternelle (Mt 25, 46). Le jugement est définitif. Le jugement est d’autant plus redoutable, car il ne relève pas d’une décision arbitraire d’un juge partial, favorable ou non, miséricordieux ou non, mais dépend directement de notre attitude, du mode de vie que nous avons délibérément choisi de mener. Le jugement dépend donc de nous, de notre attitude.

Par conséquent, une fois de plus, la parabole d’aujourd’hui nous invite à renoncer à notre amour propre, à notre égoïsme, à notre orgueil et à notre hypocrisie, et à vivre une vie de partage et de solidarité avec le reste de la création, à l’image et à la ressemblance de notre Créateur qui donne abondamment à tous le nécessaire, en sachant reconnaître sous les traits du plus petit d’entre nos frères l’icône du Christ, et en pratiquant ainsi la miséricorde.

Le jeûne de la miséricorde

Dans une semaine nous allons commencer à jeûner. Pour la majorité d’entre nous, le jeûne n’est souvent qu’une simple question de régime alimentaire. Or, il existe une dimension oubliée du jeûne: c’est justement cette dimension de partage et de solidarité. C’est le véritable jeûne de la miséricorde auquel nous invite saint Jean Chrysostome: «Vous jeûnez? Montrez-le moi par vos œuvres. Par quelles œuvres? me demanderez-vous. Si vous voyez un pauvre, ayez-en pitié…» (Au peuple d’Antioche III, 4). Et saint Grégoire Palamas nous enseigne: «Lorsque vous jeûnez et limitez votre nourriture, n’accumulez pas les surplus pour le jour suivant. Le Seigneur nous fit riches en devenant pauvre, et vous, par votre faim volontaire, vous devez nourrir ceux qui ont faim contre leur volonté» (Homélie 13, 9).

Au seuil de ce Carême, que le Seigneur nous ouvre les yeux, afin de le reconnaître sous les traits de l’affamé, de l’assoiffé, de l’étranger, du nu, du malade, du prisonnier, du migrant, du sans abris, du vieillard de notre quotidien. Qu’il nous donne de mener une véritable vie chrétienne de miséricorde, de partage et de solidarité. Qu’il nous rende dignes d’entendre le jour du jugement redoutable: «Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait… Recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde» (Mt 25, 40.34), là où lui revient gloire et adoration dans les siècles des siècles. Amen.

Archevêque Job de Telmessos

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