La lecture de l’évangile que nous venons d’entendre (Jn 5, 1-18) nous rappelle celle de la guérison du paralytique que nous avons écoutée le deuxième du Carême (Mc 2, 1-12). Toutefois, la particularité du récit de la guérison du paralytique d’aujourd’hui, décrite par le saint apôtre et évangéliste Jean le Théologien, est qu’elle se situe à la piscine de Bethesda, aussi appelée piscine Probatique, celle qui avait cinq portiques, et où attendaient leur guérison de nombreux malades et infirmes au moment où l’eau commençait à bouillonner lorsque l’Ange du Seigneur descendait dans la piscine. Là, un homme paralysé depuis trente-huit ans attendait lui aussi sa guérison, mais malheureusement, il n’avait pas d’homme pour l’aider à descendre dans la piscine au moment du bouillonnement, comme nous le relate l’évangéliste.
En cette période pascale, le récit de l’évangéliste Jean qui est bien plus théologique, voire même davantage mystagogique, suggère de voir dans les eaux de Bethesda une figure du baptême qui, dans l’Église ancienne, était célébré une fois par an lors de la vigile de Pâques, le grand samedi. Dans l’Église ancienne, la mystagogie, c’est-à-dire l’explication de la symbolique des rites du baptême et de l’eucharistie, se déroulait toujours après le baptême, car il était plus facile de comprendre le sens des rites et des gestes une fois que nous y avons participé. Par conséquent, les lectures que nous faisons durant toute cette période pascale nous présente un enseignement et une méditation sur un événement fondamental de notre vie chrétienne à savoir notre baptême.
L’Ange est une figure de notre Seigneur Jésus-Christ qui devait venir
Dans le récit évangélique d’aujourd’hui, la descente de l’Ange du Seigneur était une condition nécessaire pour la guérison des infirmes. Or, nous savons que dans le langage biblique, l’expression « l’Ange du Seigneur » peut désigner Dieu lui-même. Ceci explique pourquoi, contrairement aux autres malades qui avaient été guéris par leur immersion dans l’eau de la piscine, le paralytique de l’évangile d’aujourd’hui a été guéri sans être plongé dans la piscine par une simple parole du Christ. En effet, l’évangéliste veut nous présenter ainsi le Christ comme la source de guérison. D’ailleurs, saint Ambroise de Milan voyait dans la descente de l’Ange du Seigneur dans la piscine une annonce, ou plus exactement une figure, de l’incarnation du Fils de Dieu. Il « représente la figure de notre Seigneur Jésus-Christ qui devait venir » (Des sacrements 2, 2, 3. SC 25, 74), et c’est donc Son incarnation qu’attendait le paralytique depuis trente-huit ans pour être guéri.
Plusieurs Pères de l’Église ont d’ailleurs vu dans le nombre de trente-huit années un sens symbolique. En effet, si le chiffre quarante dans le langage biblique représente la perfection, le nombre trente-huit signifie l’imperfection par le manque de deux unités. Il symbolise donc l’état de péché duquel notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ vient nous délivrer par Son incarnation, Sa passion et Sa résurrection. Le paralytique représente donc l’humanité pécheresse et malade, l’humanité déchue en attente du salut.
Le paralytique représente l’humanité pécheresse et malade, l’humanité déchue en attente du salut
Il est remarquable que le paralytique avoue « ne pas avoir d’homme » pour l’aider à descendre dans la piscine. « Seigneur, je n’ai pas d’homme » (Jn 5, 7) confesse-t-il au Christ, lorsque Celui-ci lui demande s’il veut guérir. Mais son problème n’était pas seulement matériel, dans le fait de n’avoir pas d’esclave, de n’avoir personne pour l’aider. Le salut de l’homme ne pouvait se réaliser par l’intervention d’un simple homme, car l’homme ne peut obtenir le salut par lui-même. « Parce que tu n’as pas d’homme, Celui qui pour toi s’est fait homme te guérit » dit saint Amphiloque d’Iconium en commentant ce passage (Discours 9).
Voici l’Homme !
Le Christ est donc cet homme qu’attendait le paralytique depuis trente-huit ans. En effet, « Voici l’Homme ! », s’exclame Pilate en parlant du Christ, lorsqu’il le présente à la foule, battu et couronné d’épines, juste avant Sa passion, dans le récit de ce même évangéliste Jean le théologien. C’est pourquoi, saint Grégoire le Théologien affirme dans un discours adressé à ceux qui venaient de recevoir le baptême à Pâques : « Hier, tu gisais sur un lit, languissant et abattu, et tu n’avais pas d’homme pour te jeter dans la piscine quand l’eau s’agiterait ; aujourd’hui, tu as trouvé un homme qui est aussi Dieu, ou plutôt un Dieu homme ! » (Discours 40, 33. SC 358, 274). Et c’est dans ce même esprit que nous chantons dans le canon pascal : « Hier, ô Christ, je partageais ton tombeau ; aujourd’hui avec toi, je ressuscite. Hier je partageais ta Croix ; donne-moi ta Gloire en partage, Ô Sauveur, dans ton Royaume » (Ode 3).
Commentant ce passage de l’Évangile en faisant une parallèle entre la guérison du paralytique et le baptême, saint Jean Chrysostome dit que l’eau de Bethesda n’a pas de pouvoir de guérison par elle-même, sinon elle guérirait toujours et non par intermittence. C’est l’Ange du Seigneur qui communique ce pouvoir. De même, ce n’est pas par elle que l’eau du baptême est efficace, mais parce qu’elle reçoit ce pouvoir du Saint Esprit (Sur Jean 36, 1. PG 59, 204). C’est d’ailleurs pour cette raison que la première moitié de ce récit est lue chaque fois que nous célébrons la bénédiction de l’eau, pour souligner que c’est la grâce du Saint-Esprit qui sanctifie l’eau qui, de ce fait, procure tous les bienfaits spirituels que nous connaissons. C’est donc l’Esprit Saint qui descend, par la bénédiction des eaux au nom de la Sainte Trinité invoquée par le célébrant, qui nous procure le salut.
En cette période pascale, réjouissons-nous de ce que nous a été donné un Dieu-Homme pour notre salut. Rendons grâce à Dieu, pour notre baptême qui nous a libéré de notre vieil homme, de ce vieil homme infirme et pécheur, et qui nous a revêtus de l’homme nouveau (Col 3, 10) qui est le Christ. Et de ce fait, comme nous l’enseigne l’Apôtre Paul, si nous sommes ressuscités avec le Christ par notre baptême, recherchons « les choses d’en haut » (Col 3, 1). Faisons donc mourir « les membres de l’homme terrestre: la fornication, l’impureté, la luxure, toute mauvaise convoitise et la cupidité » (Col 3, 5), et revêtu de l’homme nouveau, revêtons-nous « de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur, et de patience » (Col 3, 12). Car telles doivent être les parures des baptisés. Ainsi doit se refléter l’image du Christ dans chaque membre de l’Église, dans chaque chrétien. A lui, notre Dieu et Sauveur, soit toute gloire, honneur et adoration, dans les siècles des siècles. Amen.
– Archevêque Job de Telmessos