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Sixième dimanche de Luc

Nous venons d’entendre le récit du miracle de la guérison du démonique gadarénien (Lc 8, 26-39). Ce récit se retrouve dans les trois évangiles synoptiques. Dans le récit de l’évangéliste Luc il n’y a qu’un seul possédé, alors que Matthieu en compte deux. Si Matthieu soulignait ainsi l’universalité du salut apporté par Jésus-Christ aux juifs et aux païens, Luc présente sous les traits d’un seul démoniaque l’humanité tout entière déchue et ayant besoin d’être guérie par notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. L’épisode se situe dans le pays des Gadaréniens, une terre païenne. Le démonique habitait les tombeaux, le lieu pour les morts, ce qui veut dire que le démoniaque n’appartenait plus à la terre des vivants. Il a besoin, comme l’humanité déchue d’une résurrection, d’une nouvelle naissance, ce que procure à chaque homme le mystère du baptême. Le démoniaque portait le nom de « Légion » car de nombreux démons étaient entrés en lui. Les démons sont précipités dans un troupeau de porcs : de cette manière, le récit évangélique veut nous rappeler que celui qui ne s’exerce pas par l’ascèse à combattre les passions et à collaborer avec la grâce divine cesse d’être véritablement un homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et s’abaisse au rang d’animal, et particulièrement celui de porc considéré comme le plus sale et le plus impur dans la Bible.

La péricope de l’évangile de ce dimanche nous rappelle une réalité spirituelle que notre monde sécularisé d’aujourd’hui oublie ou nie totalement : l’existence des démons. Dans le texte biblique, l’existence des démons est une réalité. Dans le Nouveau Testament, nous trouvons une soixantaine de références aux démons. L’Église et l’Écriture sainte nous enseignent que ceux-ci sont des anges déchus, dirigés par Satan. Malheureusement l’homme sécularisé contemporain, oubliant l’existence de Dieu, rejette d’amblé les notions de péché, de mal, du diable, de démons. Pour lui qui se croit autoentrepreneur de lui-même et auto-suffisant pour acquérir le bonheur et le bien-être, ces notions sont des inventions purement humaines relevant de la psychologie.

Dans le texte biblique, l’existence des démons est une réalité

Pourtant, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ envoya ses apôtres chasser les démons (Mc 3, 15), et « les soixante-dix revinrent avec joie, disant : Seigneur, les démons mêmes nous sont soumis en ton nom » (Lc 10, 17). L’apôtre Pierre nous met en garde : « Soyez sobres, veillez. Votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il dévorera » (1 Pi 5, 8). Selon les Écritures, les démons ont comme but d’aveugler l’homme au sujet des réalités spirituelles, comme nous le dit l’apôtre Paul : « pour les incrédules dont le dieu de ce siècle a aveuglé l’intelligence, afin qu’ils ne vissent pas briller la splendeur de l’Évangile de la gloire de Christ, qui est l’image de Dieu » (2 Co 4, 4). Selon l’apôtre, les démons suggèrent des pensées mauvaises : «  de même que le serpent séduisit Eve par sa ruse, je crains que vos pensées ne se corrompent et ne se détournent de la simplicité à l’égard de Christ » (2 Co 11, 3). L’apôtre souligne que c’est « enflé d’orgueil » que l’homme « tombe sous le jugement du diable » (1 Tim 3, 6). C’est pourquoi nous devons veiller !

C’est pourquoi il est pour nous inévitable d’être tentés et de mener une lutte spirituelle

Notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ, dans son humanité, au début de son ministère fut lui aussi tenté au désert après qu’il eut jeûné au désert (Lc 4, 1-13). Le diable vint le tenter sur trois choses : la gourmandise, par la tentation de transformer les pierres en pain ; le pouvoir, par la ta tentation de prendre les royaumes du monde ; la vaine gloire, par la tentation de sauter en bas du temple… Saint Irénée de Lyon oppose la résistance du Christ à la tentation à la chute d’Adam qui a succombé à la tentation au Paradis. En ce sens, le Christ, comme le Nouvel Adam, accomplit la victoire finale contre le diable. C’est aussi ce que nous lisons dans l’Épitre aux Hébreux au sujet du Christ, notre Grand-prêtre : « Il a été tenté comme nous en toutes choses, sans commettre de péché » (Hb 4, 15). En tant que celui qui récapitule l’humanité tout entière et qui la guérit, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ devient pour nous un modèle que nous devons nous efforcer, par la grâce, de suivre et d’imiter. C’est pourquoi il est pour nous inévitable d’être tentés et de mener une lutte spirituelle.

Dans cette lutte spirituelle, nous devons pratiquer le discernement des pensées qui nous viennent en les passant au crible de l’Évangile

Dans cette lutte spirituelle, nous devons pratiquer le discernement. Saint Paul nous exhorte ainsi : « ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait » (Rm 12, 2). Afin de nous unir pleinement à Dieu, nous devons éprouver les pensées qui nous viennent en les passant au crible de l’Évangile, afin de discerner les bonnes pensées qui rapprochent de Dieu et les mauvaises qui nous en éloignent. Les Pères nous enseignent qu’il y a huit pensées mauvaises ou passions contre lesquelles nous devons lutter : la gourmandise, la fornication, l’avarice, l’acédie, la colère, la paresse, la vaine gloire et l’orgueil. Ceci rejoint ce que l’apôtre Paul écrivait : « on connaît les œuvres de la chair : libertinage, débauche, idolâtrie, magie, haine, discorde, jalousie, emportements, rivalités, dissensions, factions, envie, beuveries, ripailles et autres choses semblables… Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi » (Ga 5, 19-23).

Le Christ en résistant aux tentations dans le désert, nous a enseigné la sobriété, l’obéissance et l’humilité. Lorsque nous lisons la vie des saints, nous voyons comment chacun d’eux par la prière, l’ascèse et le jeûne qui implantent en nous le discernement et la maitrise de soi ont pu résister eux aussi aux épreuves qu’ils ont traversées. Par exemple, la Vie de saint Antoine le Grand nous montre comment le saint, au début de sa vie ascétique, a dû combattre les huit pensées mauvaises lorsqu’il fut assailli par les démons. La lourde épreuve l’avait presque mené au découragement, si bien que lorsqu’il vit le Seigneur en gloire, une fois qu’il eut résisté à toutes les tentations, il lui demanda : où étais-tu, Seigneur, pendant toutes ces épreuves ? Et le Seigneur lui répondit : Antoine, j’étais à tes côtes et je me réjouissais de ton combat !

Oui, notre Seigneur et Sauveur est toujours à nos côtés dans notre lutte spirituelle ! Le récit de la guérison du possédé gadarénien est donc une invitation pour nous aujourd’hui à mener ce combat en pratiquant le discernement des pensées, en consacrant des moments de la journée à la prière, en cultivant les vertus essentielles du chrétien que sont la tempérance, l’obéissance et l’humilité, et surtout, en plaçant avant tout le Christ au centre de notre vie. Que par sa grâce et son amour pour les hommes nous puissions nous aussi être délivrés de l’assaut des démons, et des passions et des pensées mauvaises qu’ils suscitent pour nous détournent de Dieu, et recevoir en héritage son Royaume où lui reviennent gloire et adoration dans les siècles des siècles. Amen.

Archevêque Job de Telmessos

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