Nous venons d’entendre la lecture d’une parabole bien connue de l’évangile selon Luc, la parabole du riche et de Lazare (Lc 16, 19-31). Cette parabole met en scène deux hommes qui habitaient côte à côte. L’un jouissait de sa fortune, en se revêtant de vêtements luxueux, dégustant des mets somptueux de sa table débordant de plats, alors que sous ses yeux, à la porte de sa maison, vivait un pauvre nommé Lazare, lequel espérait seulement pouvoir se nourrir, tel un chien, des miettes du festin du riche. Ce tableau nous rappelle les paroles du philosophe antique Diogène selon lequel le riche peut manger ce qu’il veut quand il veut, alors que le pauvre doit se contenter de ce qu’il a quand il l’a.
L’évangéliste Luc poursuit sa description de la scène dans l’au-delà, dans la vie à venir. Nous y apprenons que le riche est tombé en enfer, où il se morfond. Celui-ci voit Lazare, loin de lui, dans le sein d’Abraham. Dans le langage biblique, le sein d’Abraham est une image du Royaume de Dieu. On peut se demander pourquoi le riche s’est retrouvé en enfer, alors que le pauvre a hérité du Royaume de Dieu. Nous ne devons pas y voir une sorte de punition ou de compensation du riche dans la vie éternelle en raison de sa richesse durant sa vie terrestre, ou inversement, une récompense pour le pauvre dans le Royaume céleste en raison de sa pauvreté sur terre. L’Évangile souligne à plusieurs reprises et ce, de différentes manières, qu’il est plus difficile au riche d’entrer dans le Royaume de Dieu (cf. Mt 19, 24).
En quoi consiste la difficulté pour un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu ? Ce n’est pas la richesse en tant que telle, mais la relation que le riche entretient avec elle. La richesse dans notre vie n’est pas un but en soi, mais un moyen. Mais si nous faisons de la richesse le but de notre vie, nous répétons l’erreur du riche de la parabole que nous venons d’entendre aujourd’hui. Le problème du riche dans la parabole est son égoïsme. Il ne vivait que pour lui seul. Il ne cumulait sa richesse que pour lui seul. Il ne vivait et ne profitait de sa vie que pour lui seul, si bien qu’il ne voyait même pas le pauvre qui vivait sous ses yeux. Si le riche n’avait pas souffert d’égoïsme et d’égocentrisme, il aurait vu le pauvre Lazare. Il aurait partagé sa richesse avec lui. Il l’aurait invité à sa table pour partager son repas.
Le problème du riche dans la parabole est son égoïsme
Dans l’Ancien Testament, le Royaume de Dieu est représenté comme le sein d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Pour cette raison, lorsque nous prions pour les défunts, nous nous évoquons cette image dans notre prière. Mais saint Jean Chrysostome attire notre attention sur le fait que lorsque le riche se retrouve en enfer, il lui est fait la révélation du seul sein d’Abraham. Pourquoi d’Abraham seulement ? Pourquoi pas du sein d’Isaac et de Jacob ? Pour la raison, selon saint Jean Chrysostome, que le patriarche Abraham reçut sa renommée à cause de son hospitalité. Nous nous souvenons comment Abraham et son épouse Sarah reçurent au chêne de Mambré trois hommes, comme l’affirme le texte hébraïque (Gn 18, 2). D’après le texte de la Septante, il s’agissait de trois anges. Les Pères de l’Église y virent une figure de la sainte Trinité. De son côté, l’Apôtre dans l’Épitre aux Hébreux nous dit que « quelques-uns en pratiquant l’hospitalité ont, à leur insu, reçu chez eux des anges » (Hb 13, 2), lesquels, selon la Tradition de l’Église, étaient une figure et une révélation de la Sainte Trinité. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Église orthodoxe vénère comme icône de la Sainte Trinité la représentation de l’hospitalité d’Abraham, une icône devenue très connue depuis la célèbre icône de saint André Roublev.
Quelques-uns en pratiquant l’hospitalité ont, à leur insu, reçu chez eux des anges
Pour cette raison, ce n’est pas un hasard que le riche se trouvant en enfer a une vision du pauvre dans le sein d’Abraham. Notre Seigneur veut nous montrer de cette manière que c’est précisément l’hospitalité qui manquait au riche durant sa vie terrestre. C’est la pensée principale de la péricope de ce dimanche. Chacun d’entre nous a en sa possession une certaine richesse. Certains possèdent une très grande richesse, d’autres une richesse plus modeste. Néanmoins, c’est de notre relation envers cette richesse, petite ou grande, que dépend non seulement notre état en cette vie, mais aussi notre devenir dans la vie à venir.
Si nous possédons notre richesse de manière égoïste et égocentrique, ayant comme seul but notre propre bien-être et notre propre jouissance, si nous oublions les besoins de nos proches et des hommes qui nous entourent, si nous ne voyons pas les gens dans le besoin qui se trouvent autour de nous, si nous ne sommes pas prêts à pratiquer l’hospitalité, alors nous répétons l’erreur du riche dans la parabole d’aujourd’hui. Or, le Seigneur nous prévient et nous fait comprendre par cette parabole ce qui nous attend dans la vie à venir. Mais si, au contraire, nous prenons l’exemple du patriarche de l’Ancien Testament, et nous réjouissons toujours de pratiquer l’hospitalité, de recevoir les étrangers, d’aider les pauvres, de rendre visite aux malades, aux personnes âgées, aux prisonniers, d’aider les sans-abris que nous croisons dans la rue, alors nous pratiquons l’hospitalité abrahamique et entretenons une relation adéquate avec notre richesse qui n’est pas le but de notre vie, mais un don de Dieu que nous devons de partager équitablement entre nous ici sur terre.
Recevoir l’étranger, c’est recevoir le Sauveur
L’hospitalité fut depuis toujours une tradition monastique, comme nous le rappelle la règle de saint Benoît de Nursie. Celle-ci souligne que l’hospitalité fut toujours le trait caractéristique de la vie monastique, car pratiquer l’hospitalité, recevoir l’étranger, c’est recevoir le Sauveur, recevoir le Christ étranger qui n’a pas où reposer sa tête (Lc 9, 58), comme nous le rappelle une autre parabole, celle du jugement dernier (Mt 25, 31-46). C’est pourquoi tâchons, chers frères et sœurs en Christ, d’imiter Abraham, le patriarche de l’Ancien Testament, en pratiquant toujours l’hospitalité, en pratiquant la miséricorde et la charité envers notre prochain, envers les pauvres et les nécessiteux, et ainsi, non seulement nous mènerons correctement notre vie ici sur terre, mais nous hériterons aussi de la béatitude éternelle dans le sein d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, dans le Royaume de Dieu, où convient à notre Dieu gloire, honneur et adoration, dans les siècles des siècles. Amen.
— Archevêque Job de Telmessos